Comment prescrire les antidépresseurs ?

photo bonin bernardPr Bernard BONIN
Psychiatre

La prévalence de la dépression est d'environ 15% sur la vie entière. 70% à 90% des patients qui souffrent d'un état dépressif sont suivis en médecine générale. Parmi les différentes thérapeutiques possibles, les antidépresseurs sont les plus utilisés.

Le contexte général apparaît actuellement complexe :
-Les campagnes d'information tant du public que des professions de santé insistent sur la reconnaissance de la dépression et l'importance d'un diagnostic précoce.
-Tous les programmes de formation soulignent la nécessité de considérer et de soulager la douleur morale de la dépression, au même titre que la douleur physique.
-Les conférences de santé s'intéressent à la prévention du suicide, rappelant que 11000 personnes décèdent par suicide chaque année en France et que 50 à 70% souffraient d'un état dépressif.
-Mais les enquêtes de santé publique rapportent des prescriptions trop importantes de psychotropes, en particulier des antidépresseurs, en Europe, et surtout en France : dans l'enquête de la CNAM de l'année 2000 le remboursement d'au moins un antidépresseur concernait 9,7% des personnes du régime général.
-Enfin plusieurs travaux ont évoqué une augmentation du risque de suicide liée aux antidépresseurs en particulier chez des patients adolescents.

D'une manière générale il apparaît que la prescription des antidépresseurs par les médecins généralistes est prudente, faisant référence aux protocoles de soins, aux conférences de consensus, aux bonnes pratiques cliniques. Cependant plusieurs enquêtes évoquent les difficultés rencontrées au quotidien pour le diagnostic et la prise de décision de traitement, le choix d'une molécule et surtout le suivi au long cours du traitement antidépresseur.

L'application de quelques règles simples permet de concilier, dans la pratique, le respect de différents facteurs de contrainte et la réelle maîtrise d'un traitement antidépresseur pour un suivi adapté.
*La prise de décision de traitement d'un état dépressif nécessite tout d'abord le diagnostic clinique précis d'une pathologie thymique caractérisée (état dépressif majeur) ; il faut donc absolument rechercher l'existence d'idées de suicide et si besoin discuter de l'urgence d'une hospitalisation.
*Le respect des indications et contre-indications des antidépresseurs s'appuie sur les Autorisations de Mise sur le Marché des différents antidépresseurs précisées dans le dictionnaire Vidal ; les indications en fonction de l'âge doivent être absolument respectées, un avis spécialisé est demandé pour l'enfant, l'adolescent, la personne âgée.
*C'est l'examen clinique qui guide le choix de l'antidépresseur en considérant les caractéristiques cliniques de l'état dépressif, le terrain somatique, les pathologies associées.
*Dès la première prescription, il convient d'expliquer la pathologie et les modalités d'application de la thérapeutique au patient, à sa famille.
*La posologie doit toujours être prescrite de manière progressive.
*S'il est classique d'associer en début de traitement un anxiolytique, un hypnotique, la monothérapie est cependant toujours conseillée pour la prescription d'un antidépresseur au long cours, ne serait-ce que pour améliorer l'observance. Il convient de prendre garde aux associations avec d'autres médicaments et à l'automédication (millepertuis/risque de syndrome sérotoninergique si association aux Inhibiteurs de Recapture de la Sérotonine).
*L'évolution clinique doit être suivie attentivement, tant au niveau de l'efficacité, avec l'aide objective éventuelle d'échelles de dépression, qu'au niveau des effets indésirables dont certains, moins connus, doivent être recherchés : akathisie, hyponatrémie...
*Le choix de l'antidépresseur, hormis une mauvaise tolérance, ne doit pas être remis en question avant au moins 2 à 3 semaines de prescription....avec prise effective.
*La résistance thérapeutique «à la chimiothérapie» est souvent à l'origine d'une demande de consultation spécialisée : aménagements médicamenteux et/ou association d'une approche psychothérapique spécifique....
*La durée du traitement est d'au moins 6 mois pour un premier état dépressif, d'un an pour un second état dépressif. Une durée suffisante de traitement apparaît essentielle pour réduire les risques tant de rechute que de récidive. Un traitement plus long à visée prophylactique est parfois indiqué.
*L'arrêt du traitement antidépresseur doit être très progressif avec une surveillance clinique attentive, à la recherche de symptômes de sevrage, mais surtout d'une possible reprise évolutive du trouble dépressif.
*La relation médecin-malade est primordiale dans le sens d'une alliance thérapeutique nécessaire pour ce suivi particulier, qui peut également faire appel à d'autres mesures d'accompagnement.


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