Cancer bronchique. Dépistage : intérêt et moyens ?

photo foucher pascalDr Pascal FOUCHER
Pneumologue

Le dépistage d'une maladie est une action de santé (en règle nationale) visant à rechercher par un test (fiable, sensible, spécifique, simple, accessible, non dangereux et peu onéreux) la présence d'une maladie (fréquente et/ou grave), pour laquelle on dispose de traitements efficaces et dont le pronostic est meilleur si elle est découverte tôt, dans une (large) population exposée à un risque (connu), et n'exprimant pas de symptômes. Le dépistage ne doit donc pas être confondu avec le diagnostic précoce (prescription d'un cliché thoracique chez un patient fumeur qui tousse de manière inhabituelle par exemple).

Le cancer bronchique est une maladie fréquente : 30 000 nouveaux cas sont diagnostiqués en France par an (4 par heure !). C'est la deuxième cause de cancer chez l'homme, la quatrième chez la femme. C'est une maladie grave qui tue environ 1 million de patients par an dans le monde, près de 30 000 en France. En cas de cancer bronchique, le risque de décéder, tous stades confondus, est supérieur à 90%. C'est la première cause de décès par cancer en France chez l'homme et la deuxième chez la femme (la première aux USA, avant le sein). Le tabac est le facteur causal de cette maladie pour plus de 90%. La population exposée au risque est donc bien identifiée et importante en effectif : fumeurs ou anciens fumeurs (le risque ne diminue que très lentement après l'arrêt du tabac).
Le cancer bronchique est typiquement une maladie qui devrait bénéficier d'un programme de dépistage de masse. Les obstacles sont de plusieurs ordres. Le premier concerne le test de dépistage. De nombreuses études se sont intéressées aux questionnaires, radiographies thoraciques, scanners thoraciques, marqueurs tumoraux, cytologie de l'expectoration, fibroscopies bronchiques avec autofluorescence, détection de composés volatils de l'haleine, recherche de mutations, puces à DNA, TEP... Les tests les plus simples (radio/scanners) sont assez accessibles mais peu sensibles (on peut passer à coté d'une tumeur de 3 cm sur un cliché thoracique de face bien interprété) et pas très spécifiques (nombreux faux positifs sur scanner : cicatrices de pathologies anciennes, nodules bénins....) ce qui dans certains cas peut générer de l'angoisse chez le patient et une cascade d'examens complémentaires aussi inutiles que coûteux ("sur diagnostic": selon les études, 20 à 50% des scanners mettent en évidence des nodules de nature indéterminée). Les tests les plus élaborés sont beaucoup plus performants en termes de sensibilité et de spécificité, mais inadaptés au dépistage de masse en termes de coût et d'accessibilité. Le seul test réaliste dans le contexte actuel est le scanner thoracique faible dose et une étude internationale (ELCAP) a montré qu'il détectait 1.3% de tumeurs, dont 80% étaient de stade I. Le deuxième obstacle est la périodicité de renouvellement du test. Sachant qu'un cancer bronchique à petites cellules peut en un mois générer une masse tumorale pulmonaire de 10 cm de diamètre et qu'un adénocarcinome bronchique peut en faire autant en quelque mois, il est certain qu'un dépistage annuel risque d'être un peu court. Deux scanners par an ?, pendant 20, 30, 40 ans ? En commençant à 30 ans, 40 ans ? Par ailleurs, plus l'espace entre deux tests est important, plus le test a tendance à découvrir des maladies à évolution lente, qui ne sont habituellement pas celles dont le pronostic est le moins bon. Ce biais dit de latence clinique (length time bias) donne artificiellement l'impression que les tumeurs dépistées vivent plus longtemps que les autres.

Ce qui amène au dernier obstacle qui est en fait la vraie question qui reste aujourd'hui posée et sans réponse (positive, car aucune étude n'a permis de le démontrer) : Les malades dépistés ont-ils un meilleur pronostic ? La logique et le bon sens plaident en faveur de cette hypothèse. On ne guérit pas la plupart des cancers bronchiques non opérables (mais on ne guérit pas non plus tous les cancers opérés dont la survie moyenne ne dépasse guère 50% à 5 ans). Si on découvre tôt un «petit» cancer bronchique, il a plus de chance de relever d'un traitement chirurgical. Pas faux il y a 20 ans, quand les épidermoïdes dominaient (on guérissait en les opérant des tumeurs de 10 ou 15 cm !), cette idée est aujourd'hui totalement mise à mal par le nombre sans cesse croissant d'adénocarcinomes de quelques millimètres qui se présentent d'emblée polymétastatiques. Mais on se heurte à ce niveau à un deuxième biais bien connu qui est l'avance au diagnostic (lead time bias) : le diagnostic étant fait plus tôt, la survie semble plus longue, mais le décès survient au bout du même temps d'évolution à partir de la première cellule tumorale.

Au total le dépistage de masse du cancer bronchique n'est actuellement pas efficient en terme de population, ce qui conduit l'INCa à conclure en 2008 que «Il n'existe pas d'examen de dépistage qui permette de détecter un cancer du poumon suffisamment à l'avance pour en tirer un bénéfice en matière de traitement». L'arrêt du tabac et le diagnostic précoce restent fondamentaux.


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