Pourquoi s'intéresser aux appareils d'automesure de l'INR ?

photo demaistreDr Emmanuel DE MAISTRE
Hémobiologiste

Le traitement AVK concerne maintenant plus de 900 000 patients en France et le nombre ne cesse d'augmenter avec en particulier des indications élargies dans l'ACFA. Ces fameux AVK vont être concurrencés prochainement par les nouveaux anticoagulants oraux (dabigatran, rivaroxaban et plus tard apixaban), mais ils vont garder une place dans l'arsenal thérapeutique de part l'expérience des médecins avec ces médicaments, l'absence d'effet indésirable (en dehors du risque hémorragique) et l'existence d'antidotes (vitamine K, PPSB). Néanmoins, les AVK ont une fenêtre thérapeutique étroite et sont associés à un risque hémorragique et un risque thrombotique qu'il ne faut pas négliger, même chez les patients traités depuis de longues années. La prise d'un traitement AVK doit s'accompagner d'une surveillance régulière de l'INR (au minimum mensuel), d'un contrôle de tout médicament associé et de l'alimentation ainsi que d'une certaine prudence dans la vie de tous les jours.

Malgré toutes ces précautions, les résultats restent médiocres en France, avec un INR dans la fourchette thérapeutique souhaitée (entre 2 et 3 sauf pour certaines valves cardiaques mécaniques) dans seulement 50% des cas.
Dans certains pays (Pays-Bas, Italie), des structures de soins spécialisés ont été mises en place (cliniques des anticoagulants) pour le suivi des patients sous AVK. Plusieurs équipes ont démarré en France des structures de ce type (Toulouse, Grenoble, Dole, Paris), mais avec très rapidement des difficultés de fonctionnement du fait d'une aide insuffisante de nos instances.
Dans d'autres pays (Allemagne, Suisse, Grande Bretagne), les appareils d'automesure d'INR se sont développés, avec un prélèvement en capillaire (au doigt) et 2 types de stratégie :
- soit l'automesure simple par le patient (et ajustement éventuel du traitement par le médecin)
- soit l'autocontrôle, le patient prenant alors en charge la mesure, l'interprétation du résultat et l'ajustement éventuel de la posologie.

En 2008, un groupe de travail a été mis en place par l'HAS afin d'évaluer l'apport de l'autosurveillance de l'INR chez les patients sous AVK (www.has-sante.fr).
Après relecture de la littérature, il a été retenu :
- une amélioration significative de la période où l'INR est dans la zone thérapeutique souhaitée (automesure et autocontrôle)
- une diminution de la variabilité des mesures d'INR (autocontrôle)
- une diminution du risque d'évènements thromboemboliques et hémorragiques majeurs (automesure), du risque d'évènements thromboemboliques et hémorragiques et de la mortalité (autocontrôle).
Concernant la qualité de vie, les études publiées étant fondées sur des méthodologies variables, le groupe de travail n'a pas pu se prononcer (bénéfices potentiels : meilleure autonomie, réduction des prélèvements veineux, prise en compte rapide des résultats). De même, les données publiées ne permettent pas de démontrer clairement un intérêt économique au développement de l'automesure.
Les conclusions du groupe de travail étaient en faveur du développement de ces appareils d'automesure d'INR en France, en insistant sur la nécessité primordiale de l'éducation des patients et des professionnels et d'une évaluation médico-économique avant d'envisager une prise en charge par l'assurance-maladie.

L'arrêté du 18 juin 2008 permet le remboursement de 2 dispositifs d'automesure d'INR (Coagucheck de Roche Diagnostics et INRatio de AAZ), mais uniquement chez les enfants de moins de 18 ans, avec une utilisation très encadrée (éducation aux AVK, formation à l'automesure, suivi régulier des enfants, astreinte 24h/24h) et une phase d'essai de 3 ans. En Bourgogne, le médecin référent est le Dr Caroline Bonnet (cardio-pédiatre au CHU).

Une éventuelle extension aux adultes va dépendre de la qualité des dossiers de suivi des enfants (évaluation après les 3 premières années) et des résultats de la grande étude multicentrique française 4A (Apport d'un Appareil d'Auto-mesure de l'Anticoagulation en ambulatoire, chez les patients porteurs de prothèse valvulaire mécanique cardiaque). 24 centres ont inclus 1050 patients avec une durée de suivi de 12 mois (3 groupes : groupe A : suivi INR classique ; groupe B : automesure avec Coagucheck ; groupe C : automesure avec INRatio). Les premiers résultats ont été présentés fin octobre à Dijon, lors du congrès du GEHT (Groupe d'Etude en Hémostase et Thrombose). Il n'a pas été observé de différence entre les 2 stratégies pour les complications thrombotiques et hémorragiques sévères mais peu d'évènements sont survenus durant l'étude ; il n'a pas été observé de différence non plus concernant les contrôles d'INR dans la fourchette thérapeutique, malgré un nombre plus élevé de contrôles avec les appareils d'automesure (meilleur suivi des patients dans le groupe A classique que dans la vraie vie). La compliance a été bonne (84%) et le degré de satisfaction des patient excellent (96%).

En conclusion, la mise à disposition d'appareils d'automesure d'INR apporterait une aide dans la prise de certains patients sous AVK (éloignement géographique, nombreux déplacements ou voyages, difficultés de prélèvement ...). L'autorisation chez l'enfant devrait être renouvelée en 2011 ; par contre pour les adultes, il faut attendre de savoir comment vont être accueillis les résultats de l'étude multicentrique, avec l'absence de bénéfice apportée par l'automesure par rapport au suivi classique (résultats pouvant s'expliquer par des effectifs insuffisants compte tenu de la faible incidence de complications et par un meilleur suivi que d'habitude dans le groupe suivi INR classique).



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