Utilisation des morphiniques en soins primaires

Minello


Dr Christian MINELLO
Unité Douleur - Anesthésiste USPI

Les opioïdes du palier 3 de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) ou opioïdes forts restent à ce jour les antalgiques les plus puissants, démontrés efficaces et largement utilisés dans les douleurs aiguës, les douleurs post-opératoires et les douleurs cancéreuses.
Sous l'effet de campagnes de sensibilisation et de recommandations ministérielles, l'accès aux antalgiques majeurs a été facilité afin d'encourager leur prescription : suppression du carnet à souche, allongement de la durée maximale de prescription. L'utilisation des opioïdes forts a ainsi fortement progressé dans le cadre de la douleur cancéreuse mais aussi non cancéreuse. Il faut cependant rappeler que les différents paliers de l'OMS ont été élaborés pour la douleur cancéreuse et ne sauraient s'appliquer indistinctement aux douleurs non cancéreuses, en particulier dans leur forme chronique.
Des essais randomisés, contrôlés, en double aveugle ont prouvé l'efficacité des opioïdes forts dans les douleurs chroniques non cancéreuses. Pour autant, ils ne sont pas un traitement de première intention dans ces deux indications et cette prescription doit rester d'exception, n'intervenant que lorsqu'il n'est pas possible de soulager le patient d'une autre façon.
D'autant que plusieurs éléments sont encore à préciser : les effets indésirables à moyen et long terme, le devenir de l'efficacité initialement observée, l'éventuelle apparition de phénomènes de tolérance.
En France, on dispose de deux recommandations officielles permettant de définir un cadre pour le praticien : les recommandations de Limoges, concernant l'usage de la morphine dans les douleurs rhumatologiques non cancéreuses et les recommandations de l'ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé), définissant le cadre de prescription des opioïdes forts dans le traitement des douleurs chroniques non cancéreuses. Ces recommandations sont convergentes et insistent sur la nécessité d'un diagnostic précis, d'un échec des thérapeutiques non opioïdes fortes, d'une prescription dans le cadre d'un contrat médecin-malade fixant des objectifs précis et prévoyant des modalités de surveillance rigoureuse.
Néanmoins nous pouvons réaffirmer les difficultés de la prescription des opioïdes à des patients présentant des douleurs chroniques non cancéreuses. Quotidiennement nous sommes amenés à recevoir dans nos structures d'évaluation et de traitement de la douleur des patients bien souvent dans une impasse, et qui présentent des effets iatrogènes à la suite de la prise de ces médicaments. Nous sommes fréquemment amenés à proposer des sevrages à ces patients qui ne sont ni soulagés de leur douleur, ni améliorés dans leur qualité de vie.
Il ne saurait être question de mettre en doute ou de discuter de l'intérêt majeur des opioïdes forts dans le traitement des douleurs aiguës (post-opératoires ou post-traumatiques) ou des douleurs cancéreuses. Mais les conseils de vigilance et de prudence sont à réitérer pour l'utilisation des opioïdes forts dans le cadre des douleurs chroniques non cancéreuses. La formation des prescripteurs sur le bon usage des opioïdes reste à faire. Gardons à l'esprit, face à la demande justifiée mais pressante de soulagement des patients douloureux chroniques, notre vieil adage : «primum non nocere» et rappelons-nous ce que disait Voltaire : «Les médecins prescrivent des drogues qu'ils connaissent un peu pour des maladies qu'ils connaissent mal à des patients qu'ils connaissent plus mal encore».

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