L'enfant gros et ses parents

photo pinoitDr Vincent BOGGIO
Pédiatre Physiologiste

Un enfant qui a 30 kg de trop a toujours eu précédemment 2 kg, puis 5 kg, puis 10 kg de trop. C'est difficile à contester ! Or théoriquement il est plus facile (disons moins difficile) de soigner (et de guérir) un excès de poids de 2, de 5 ou de 10 kg qu'un excès de poids de 30 kg. Pourquoi n'a-t-on pas débarrassé cet enfant de son excès de poids quand celui-ci était modéré ? Ecoutons les parents.
-«On n'a pas vu qu'il était trop gros et personne ne nous l'a fait remarquer». Cela arrive mais c'est rare. Habituellement, un excès de poids, ça se voit.
-«On espérait que ça s'arrangerait avec la croissance». C'eût été possible. Mais à la loterie, on ne gagne pas à tous les coups. Au mieux une fois sur deux. Les parents ont joué. Ils ont perdu. Mais ils ont été têtus. Ils ont continué à jouer et à perdre.
-«Dans ma belle-famille (plus souvent que «dans ma famille»), ils sont tous gros ; j'ai pensé que c'était génétique». L'allergie aussi a un côté génétique. Ça n'empêche pas les parents de soigner leurs enfants allergiques.
-«Quand on a vu qu'il était devenu gros, on s'est dit qu'il n'y avait plus rien à faire». Le discours actuel, très (trop ?) axé sur la prévention, peut laisser croire qu'un excès de poids est toujours définitif. On croise effectivement tous les jours des gros qui le restent, mais aussi des ex-gros fondus qu'on ne repère pas. Ce n'est pas inscrit sur leur visage.
-«On l'a emmené voir un spécialiste pour qu'il soit pris en charge, mais ça n'a rien changé». Il est rare que consulter suffise à guérir. Et le médecin ne «prend pas en charge» l'enfant trop gros. Il propose un traitement. Il n'en assure pas l'observance. La prise en charge incombe aux parents.
-«Pourtant, on fait attention». Faire attention est utile pour ne pas tomber dans un trou (et peut-être pour ne pas devenir trop gros). Mais quand on est dans le trou, faire attention ne suffit pas pour en sortir. Il faut d'autres outils, une méthode, un traitement. Les bons conseils ne suffisent pas.
-«Pourtant on mange équilibré et varié». La leçon du PNNS (Programme national nutrition santé) est bien récitée. Mais on confond l'équilibre nutritionnel, celui qui devrait limiter le risque d'infarctus et de cancer, et l'équilibre énergétique. Pour réduire un excès de poids, c'est un déséquilibre qui est nécessaire, un déséquilibre énergétique : manger moins qu'avant (pas nécessairement mieux) et bouger plus qu'avant, le plus simple étant de marcher davantage. On rappelle que l'Homme est un omnivore mais que c'est aussi un bipède (bipède = qui marche sur 2 pieds).
-«Ça ne le gênait pas beaucoup, alors on a attendu qu'il soit motivé». Pour soigner un enfant doit-on attendre qu'il en ait envie ? S'il court un risque, ne doit-on pas le protéger, malgré lui ? Ne vaccine-t-on que les enfants qui le demandent ?
-«On lui a dit qu'il fallait faire quelque chose. Mais il n'a rien changé». Depuis quand la responsabilité des soins dont un enfant a besoin incombe-t-elle à l'enfant lui-même ? Si les parents estiment qu'un traitement est nécessaire, la mise en œuvre du traitement revient-elle à l'enfant ou aux parents ?
-«On avait d'autres chats à fouetter : une séparation à gérer, une nouvelle grossesse, une maison à construire, du chômage, de la misère, un enfant handicapé, une grand-mère à soigner...». C'est rarement dit aussi clairement parce que l'aveu est douloureux. Mais celui qui écoute soigneusement parvient à décoder : «Avec la vie qu'on mène, on n'a pas eu le temps de s'en occuper».

Mais l'explication la plus courante au retard du traitement est indicible : les parents ne se sont pas réellement impliqués. Ils n'ont pris la mesure de leur rôle de soignants.

D'ailleurs, rien ne les poussait à soigner leur enfant. L'enfant gros ne se plaint que de moqueries à l'école, d'une fatigabilité à la course, d'une difficulté à s'habiller comme il le voudrait. Il dit parfois qu'il se sent mal dans sa peau. Bref des plaintes assez banales. Il n'éprouve pas de symptômes pénibles (douleur, déficit moteur ou sensoriel) ou angoissants (dyspnée, œdème, chute, perte de connaissance). Il n'a jamais été hospitalisé, ni opéré. Ses parents ne redoutent pas les complications de l'excès de poids (elles seront tardives, quand elles surviendront, ils n'auront plus la charge de l'enfant), encore moins la mort.
Ils n'ont pas bien compris comment ils devaient s'impliquer. A moins qu'ils n'aient pas voulu le comprendre ou que leur implication leur ait semblé disproportionnée par rapport à l'objectif.
Ainsi ils n'ont pas compris qu'il ne fallait jamais laisser seul leur enfant à la maison puisque - c'est eux qui le disent - : «Quand il est tout seul, il ne peut pas s'empêcher de manger». Un enfant ou un adolescent seul chez lui, même une heure par semaine, ne guérit pas d'un excès de poids. L'ennui, la solitude, l'inquiétude poussent à manger. Conclusion : il ne faut pas le laisser seul. Cela impose des choix draconiens, mais possibles : quand il avait 3 ans, il ne restait pas seul.
Ils n'ont pas compris que, pour que leur enfant marche, il fallait marcher avec lui. Accros de leur ceinture de sécurité, véritable ceinture de sédentarité, ils accusent les jeux vidéos et oublient d'accuser la voiture qui conduit l'enfant (et ses parents) au travail.
Ils ne parviennent pas à supprimer l'apéritif quand leurs amis viennent à la maison. Ce jour-là ils traitent bien leurs amis mais traitent mal (maltraitent ?) leur enfant. Comment un enfant peut-il comprendre que les seules exceptions à la règle «Je ne mange pas en dehors des repas» viennent de ceux qui devraient le soigner ?
Ils aimeraient que leur enfant suive des règles de comportement alimentaire mais ils l'ont habitué à faire ce qu'il voulait. Il est difficile de dire «Attends» ou «Non» quand on a toujours dit «Oui». On leur demande de se mettre au service de leur enfant pour le soigner. Etre serviteur, mais non esclave.

Quand un médecin voit un enfant gros, son rôle consiste surtout à faire comprendre aux parents que personne d'autres qu'eux ne peut le soigner. C'est parfois galère.


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