CEPHALEES DE L'ENFANT ET DE L'ADOLESCENT

Docteur Anne GALLO

Pédiatre, service de pédiatrie et néonatologie - Consultations douleur/céphalées de l'enfant et de l'adolescent - Centre Hospitalier de Chalon sur Saône

Equipe Ressource Régionale de Soins Palliatifs Pédiatriques, Virgule - CHU Dijon

Membre de l'association Pédiadol

Les céphalées de l'enfant sont un motif fréquent de consultation auprès du médecin généraliste. Elles sont souvent pourvoyeuses d'une anxiété importante chez les parents craignant une pathologie grave notamment tumorale. Les étiologies sont multiples le plus souvent bénignes mais les céphalées peuvent être révélatrices d'une pathologie grave notamment tumorale d'où la nécessité d'une démarche diagnostique rigoureuse et systématique.

En effet toute la difficulté pour le médecin de premier recours face à des céphalées chez un enfant ou un adolescent est d'organiser sa consultation afin de ne pas passer à côté d'une pathologie grave justifiant une prise en charge urgente tout en ne dramatisant pas une pathologie bénigne nécessitant une prise en charge adaptée.

Pour le médecin l'objectif est double : poser un diagnostic et proposer un traitement adapté.

Nous développerons la prise en charge des céphalées de l'enfant et l'adolescent par étapes :

- première étape : démarche diagnostique : distinguer une céphalée primaire d'une céphalée secondaire

- deuxième étape : Migraine, céphalée de tension, céphalée chronique : comment les reconnaître ?

- troisième étape : prise en charge thérapeutique des céphalées primaires : traitement de crise et traitement de fond

Il s'agit d'être systématique pour chaque enfant présentant des céphalées.

Première étape : distinguer une céphalée primaire d'une céphalée secondaire

Les céphalées sont classées en céphalées secondaires ou primaires selon qu'une cause dont le traitement fait disparaître la céphalée soit présente ou non. Toutes les étiologies des céphalées sont dans la classification de l'International Headache Society (IHS), la dernière datant de juin 2015 (ICH III).

Les céphalées primaires de l'enfant sont quasiment uniquement des migraines et/ou des céphalées de tension.

Le plus souvent et à juste titre, le praticien pensera d'emblée à une céphalée secondaire de crainte de méconnaitre une pathologie grave. Les parents sont souvent demandeurs d'examens complémentaires.

Il faut respecter une démarche diagnostique rigoureuse. L'interrogatoire devra être soigneux, long et orienté pour permettre de caractériser les céphalées, condition sine qua non de la justesse du diagnostic et de l'efficacité thérapeutique. L'examen clinique sera également méthodique et complet, il comportera non seulement l'examen neurologique adapté à l'âge de l'enfant mais également l'examen général pour rechercher d'autres symptômes.

Il faut éviter 2 pièges : méconnaître une pathologie grave ou exagérer une pathologie bénigne

Grâce à l'interrogatoire qui permettra de préciser l'évolution des céphalées, on distinguera une céphalée aiguë isolée, de céphalées aiguës récurrentes, de céphalées chroniques progressives, de céphalées non progressives ou chroniques mixtes.


Abréviations : sd = syndrome, PL = ponction lombaire, neuro = neurologique, CO = monoxyde de carbone, MAV = malformation artério-veineuse, HTIC = Hypertension intracrânienne, AVF = algie vasculaire de la face, HSD = Hématome Sous-Dural.


Dans la large majorité des cas il s'agit d'une céphalée primaire.

Après avoir éliminé une céphalée secondaire, il faut identifier le type de céphalée primaire.


Deuxième étape : Migraine, céphalée de tension, céphalée chronique : comment les reconnaître ?

Il s'agit de bien connaître les critères de la classification IHS afin de permettre de préciser le diagnostic. Celui-ci sera posé essentiellement grâce aux questions précises et orientées lors de l'interrogatoire du patient et de sa famille. Très jeune, l'enfant présentant des céphalées primaires sera capable de décrire ses céphalées. Il s'agit de bien choisir les mots adaptés à l'âge de l'enfant afin de retrouver les critères précis de diagnostic.


Migraine sans aura

  1. Au moins 5 crises répondant aux critère B à D :
  2. Durée 2 - 48 heures (minimum 4 heures chez l'adulte)
  3. Au moins 2 des caractères suivants:

1. Bilatérale (unilatérale chez l'adulte)

2. Pulsatile

3. Intensité intense ou très intense

4. Aggravée par l'activité physique habituelle (marcher, monter les escaliers)

  1. Durant la céphalée au moins une des caractéristiques :

1. Nausée et/ ou vomissement

2. Photophobie et phonophobie

  1. Non attribué à une autre affection

Certaines spécificités propre à l'enfant sont retrouvées lors des crises et permettent d'appuyer le diagnostic telles que la recherche active de sommeil, sommeil souvent réparateur permettant un soulagement de la céphalée, une pâleur décrite parfois comme « cadavérique » par les parents, des sensations vertigineuses, des douleurs abdominales associées aux céphalées. Les crises peuvent parfois être courtes, notamment chez le petit enfant.


Migraine avec aura (Aura typique avec céphalée migraineuse)

A. Au moins deux crises répondant aux critères B-D

B. L'aura comprend au moins un des symptômes suivants mais pas de déficit moteur :

1. symptômes visuels entièrement réversibles incluant des phénomènes positifs (par exemple, lumières, tâches ou lignes scintillantes) et/ou négatifs (perte de vision)

2. symptômes sensitifs entièrement réversibles incluant des phénomènes positifs (fourmillements) et/ou négatifs (engourdissement)

3. troubles du langage de nature dysphasique entièrement réversible

C. Au moins deux des caractéristiques suivantes :

1. symptômes visuels homonymes et/ou symptômes sensitifs unilatéraux

2. au moins un symptôme de l'aura se développe progressivement en ≥ de 5 minutes et/ou les différents symptômes de l'aura surviennent successivement en ≥ 5 minutes

3- chaque symptôme dure ≥ 5 et ≤ 60 minutes

D. Céphalée satisfaisant les critères B-D de la migraine sans aura (1.1) et débutant pendant l'aura ou dans les 60 minutes suivant l'aura

E. Non attribué à une autre affection


Il existe des migraine avec aura particulière telle que la migraine hémiplégique (familiale ou sporadique) soit une aura avec déficit moteur ou les migraines basilaires : aura consistant en au moins deux des symptômes totalement réversibles suivant mais sans déficit moteur : dysarthrie, vertiges, acouphènes, hypoacousie, diplopie, symptômes visuels simultanés champs temporal et nasal des 2 yeux, ataxie, baisse du niveau de conscience, paresthésies bilatérales et simultanées


Céphalées de tension

B - Durée des épisodes céphalalgiques : 30 minutes à 7 jours

C - Céphalée ayant au moins deux des quatre caractéristiques suivantes :

  1. localisation bilatérale.
  2. caractère à type d'étau ou de pression (non pulsatile).
  3. intensité légère à modérée.
  4. absence d'aggravation par les activités physiques de routine (comme la marche ou la montée d'escaliers)

D - Présence des caractéristiques suivantes :

  1. absence de nausée, absence de vomissements (possible anorexie)
  2. photophobie ou phonophobie mais pas l'association des 2

E - La céphalée ne peut être attribuée à une autre cause


Le critère A détermine, en fonction de la fréquence des céphalées de tension, le caractère :

  • peu fréquent (<12 jours/an)
  • fréquent (entre 12 et 180 jours/an et plus de 4 heures par jour, depuis plus de 3 mois)
  • chronique (> 180 jours/an ou ≥ 15j/mois).

La migraine chronique est définie come ≥ 8crises/mois.

Le principal facteur favorisant l'évolution vers une céphalée chronique est l'abus médicamenteux (souvent méconnu) ainsi que les facteurs psychopathologiques.

Il ne faut pas sous-estimer l'abus médicamenteux dans les céphalées qui est défini comme > 15 prises par mois pour les antalgiques de palier 1 (paracétamol, AINS), > 10 prises par mois pour les triptans et les opioïdes et les associations d'antalgiques. Il est très important, face à des céphalées primaires, de quantifier les prises médicamenteuses et d'adapter le traitement médicamenteux pour éviter l'apparition de céphalées chroniques.


Il est très important de poser le diagnostic exact de céphalée primaire, le plus fréquemment la migraine chez l'enfant et l'adolescent. Ainsi une fois la démarche diagnostique ayant aboutie à la conclusion d'une migraine, il s'agit d'énoncer clairement le diagnostic à l'enfant et à sa famille et de mettre en place le traitement de crise adapté afin d'éviter la multiplication de consultations médicales, d'examens complémentaires, de favoriser l'errance médicale et la prise de traitement inadapté.


Les examens complémentaires

Il n'y a pas d'indication de réaliser une imagerie cérébrale en systématique chez l'enfant lorsque la céphalée primaire est typique et répond à tous les critères de la classification IHS. Celle-ci est recommandée uniquement en cas d'examen clinique anormal, en cas de « doute » diagnostic, chez l'enfant de moins de 6 ans ne pouvant pas décrire précisant les caractéristiques de ses céphalées, en cas d'aggravation des céphalées habituelles.

Parfois l'imagerie cérébrale est motivée par l'inquiétude familiale, impossible à rassurer.

Dans ce cas, l'examen à réaliser est l'IRM cérébrale qui permettra une analyse complète et ne sera pas irradiante chez l'enfant.


Il faut prendre un temps nécessaire pour expliquer la pathologie en l'enfant et à sa famille et les rassurer sur le caractère bénin des céphalées.

Les céphalées primaires peuvent être parfois très gênante voire handicapante, notamment lorsque le traitement n'est pas adapté ou que l'enfant n'a pas compris le rôle des facteurs déclenchant.


Troisième étape : prise en charge thérapeutique des céphalées primaires : traitement de crise et traitement de fond

Il faut encourager initialement l'enfant à réaliser un agenda de ses céphalées permettant de distinguer les céphalées de tension des crises de migraines, d'identifier les facteurs déclenchant, de repérer les abus médicamenteux en quantifiant le nombre de prises médicamenteuses et d'évaluer l'efficacité du traitement de crise.


Rôle des facteurs déclenchant

La migraine est une maladie familiale, génétique. Il ne s'agit pas d'une maladie psychologique ou psychosomatique mais des facteurs déclenchant d'ordre psychologiques peuvent parfois être au premier plan.



Traitement de crise

Il s'agit de mettre en place un traitement de crise de migraine adapté soit :

- un traitement pris précocement : dans les 15 premières minutes suivant le début de la crise

- en première intention un anti-inflammatoire non stéroïdien, l'ibuprofène étant le chef de file chez l'enfant du fait d'un profil bénéfice-risque favorable

- à posologies adaptées : 10 mg/kg (maximum 400 à 600 mg)

-en cas d'insuffisance d'efficacité après 30 à 45 minutes, prévoir un traitement de rattrapage par paracétamol 15 mg/kg ou triptan


Un seul triptan à l'AMM chez l'enfant à partir de 12 ans le sumatriptan : Imigrane® spray nasal 10 mg. Il faut expliquer à l'enfant son mode d'utilisation soit un spray dans une narine, tenir la tête droite, ne pas renifler, boucher et masser la narine pendant quelques secondes.


En cas de céphalées de tension, on évitera toute prise médicamenteuse souvent inefficace et pouvant favoriser un abus médicamenteux, on cherchera à travailler sur les facteurs déclenchant , le repos, la distraction, la relaxation, l'hypnose.


Dans tous les cas les antalgiques morphiniques tels que la codéine, le tramadol ou la morphine ne sont pas recommander dans la prise en charge des céphalées primaires.


Les anti-émétiques ne sont pas indiqués dans le traitement de crise, ils sont inefficaces et inutiles. La prise précoce du traitement de crise permettra de casser la crise migraineuse et d'éviter la survenue des vomissements et l'arrêt des nausées.

En cas d'inefficacité du traitement de crise, il faut essayer un autre AINS (kétoprofène, naproxène, diclofénac) voire l'association d'emblée AINS + paracétamol ou AINS + triptan.


Il n'existe pas UN traitement plus efficace qu'un autre, il faut savoir chercher pour chaque patient le traitement le plus efficace.


Il faut également s'attacher à identifier les facteurs déclenchant qui s'ils sont trop présents diminuent l'efficacité du traitement de crise ou risque de mettre en échec tout traitement de crise essayé.


Traitement de fond

Il est indiqué en cas de fréquence des crises plus de deux fois par semaines

On utilisera rarement un traitement de fond médicamenteux chez l'enfant ou l'adolescent, l'efficacité étant souvent médiocre du fait d'une mauvaise observance.

On utilisera en première intention les méthodes psychocorporelles telles que la relaxation ou l'hypnose permettant à l'enfant de travailler notamment sur ses facteurs déclenchant d'ordre psychologique.


En cas de traitement de fond médicamenteux nécessaire, on privilégiera l'utilisation du laroxyl ® en 1ère intention avec une augmentation très progressive jusqu'à 0,5 à 1 mg/kg/j.

Les indications sont très restreintes : céphalées chroniques avec retentissement important, troubles du sommeil majorant les céphalées.


En cas de céphalées chroniques quotidiennes ou d'échecs multiples de traitement, de répercussion importante des céphalées sur les activité quotidienne et la qualité de vie avec notamment un absentéisme scolaire important, il est important d'orienter l'enfant et sa famille en consultation spécialisée.



Bibliographie

§ Headache Classification Committee of the International Headache Society (IHS).The International Classification of Headache Disorders, 3rd edition (beta version).Cephalalgia. 2013 Jul;33(9):629-808.

§ Lanteri-Minet M, Valade D, Géraud G, Lucas C, Donnet A. Prise en charge diagnostique et thérapeutique de la migraine chez l'adulte et chez l'enfant; Rev Neurol (Paris). 2013 Jan;169(1):14-29.

§ Maj des recommandations ANAES Prise en charge diagnostique et thérapeutique de la migraine chez l'adulte et l'enfant : aspects cliniques et économique. oct 2002

§ ANAES Recommandations pour la pratique clinique CCQ (Céphalées chroniques quotidiennes) : Diagnostic, Rôle de l'abus médicamenteux, Prise en charge. sept 2004.

§ G.Géraud, N. Fabre, M. Lantéri-Minet, D. Valade. Les céphalées en 30 leçons. Abrégés Masson. 2009.

§ D. Annequin, B. Tourniaire, R. Amouroux. Migraine, céphalées de l'enfant et de l'adolescent. Springer, 2014.

§ Recommandations HAS. Prise en charge médicamenteuse de la douleur chez l'enfant : alternatives à la codéine. 2016.

§ AFSSAPS . Prise en charge médicamenteuse de la douleur aiguë et chromique de l'enfant. Recommandations de bonne pratique clinique. www.pediadol.org

§ J.-C. Cuvellier, L. Vallée. Pas-à-pas de pédiatrie. Céphalées de l'enfant. Elsevier Masson, 2007, màj 2017.